jeudi 26 juin 2014

La prépa & ses mythes




                                          Student Books














Il y a deux sortes d’articles sur les Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles.
                Ceux qui expliquent à quel point les élèves sont en souffrance, torturés par le travail, dans un cadre strict et stressant, et n’ont plus de vie. Ils en sont presque à dire que si l’on ne finit pas dans un hôpital psychiatrique, on sort de cette « fabrique à élites » complètement lobotomisés et que notre vie se résumera pour toujours à un plan en trois parties et trois sous-parties.
                La seconde catégorie, en réponse à la première, insistera sur le gouffre entre « prépas parisiennes » et « petites prépas », on disant qu’on y reçoit une formation de qualité avec des professeurs présents pour leurs élèves et que de toutes façons,  la fac c’est pas mieux, puis le nivellement par le bas blablabla.

IL EST TEMPS, chers amis, de rétablir la vérité. Arrêtons ces mythes manichéens.

Je suis forcée de constater que premièrement, peu de gens de moins de 35 ans savent ce qu’est une classe préparatoire. Un jour, lorsque j’ai dit que j’étais en khâgne-hypokhâgne, on m’a même répondu « ah, c’est une école à Marseille, c’est bien ça ? ». CERTES, tout cette pseudo-langue-ancienne-intellectuelle avec des « kh ^» partout (les hypokhâgneux, les khâgneux, les khôlles, les khûbes) peut faire attirer les préjugés. Mais en même temps, quelle est la réponse que l’on reçoit lorsque l’on précise que l’on fait une prépa lettres ? « Ah. » Une simple interjection que je traduirais par : « ok donc tu fumes des joints entre deux paragraphes d’un livre de Bergson et ta passion c’est les vieux bouquins poussiéreux. »
NON ! Le manichéisme est toujours là ! Les classes préparatoires sont trop comme si, pas assez comme ça…

Personne ne se sent concerné. Pourtant, je suis sûre que certains lycéens le devraient. Mais ils ne savent pas vraiment de quoi il en retourne et choisissent une voie plus fiable, où l’on ne te dit pas « oh la la, t’es sûr de vouloir faire ça ? Car c’est très très dur… ».

Pendant l’été qui a précédé ton entrée en prépa
L'été précédant la prépa, selon le tumblr humoristique La vie en prépa.

Vous voulez la vérité ? Hé bien, la vérité, c’est que tout le monde vit la prépa différemment.
Oui, cela demande beaucoup de travail, oui, vous n’aurez pas autant de temps libre qu’au lycée (mais ça camarades, c’est la même chose partout, à l’université on vous laisse vous débrouiller mais c’est à vous d’assumer), oui il y a des devoirs surveillés toutes les semaines, oui les professeurs sont exigeants.
Tout cela n’est pas une fatalité. C’est quelque chose auquel on s’habitue progressivement. La prépa a ses bons et ses mauvais côtés.

Pour vous donner une vision plus réelle des classes préparatoires, je pense que rien n’est tel que le témoignages des étudiants eux-mêmes.
J’ai choisi d’interroger des personnes très différentes les unes des autres pour vous montrer que la prépa s’adresse à des profils divers, et que chacun se crée vraiment sa propre expérience.



Claire, khûbe (= redoublant sa deuxième année. Et je précise qu’en prépa redoubler est une chance et pas une punition) en prépa littéraire :

« Sur le plan de ce qu'on apprend et de ce qu'on fait en prépa, j'ai toujours eu beaucoup de mal à me plier à la rigueur des exigences. D'un autre côté, au bout de trois ans, je réalise que cela m’a donné un cadre de pensée qui est indispensable pour construire un raisonnement - quel qu'il soit. Le principal atout, en mon sens, est la pluridisciplinarité, raison pour laquelle j'ai d'ailleurs voulu faire une prépa. »

Claire note en revanche un vrai « mauvais côté » à la prépa : c’est un cocon. Si pour elle, « sortir moins souvent n’est pas un problème puisque l’on peut se rattraper pendant les vacances », Claire pense que l’on nous assiste trop : « on s'occupe des démarches administratives pour nous, les profs sont toujours là pour nous encourager, nous aiguiller et tout nous expliquer (ce qui n'est pas un défaut en soi !) on nous pousse à tout mettre de côté pour nous concentrer sur le concours. Quand j'ai voulu faire des démarches avec la fac pour partir à l'étranger, ça s'est révélé très éprouvant parce que je ne connaissais rien au fonctionnement de la fac, et que ça m'a demandé beaucoup  de temps et d'énergie quand j'aurais voulu la consacrer au concours. »
L’intensité du cursus se révèlent à la fois positive (car tous les anciens, quel que soit leur parcours post-prépa, regrettent les cours très motivants) et négative parce que la moindre note ou khôlle (oral) décevante nous fait nous remettre en question.

Comment gères-tu le stress ?
« J'ai la chance de ne pas être particulièrement stressée par les épreuves écrites, le problème se pose plutôt pour l'oral où j'ai tendance à devenir très nerveuse, surtout si je prépare en temps limité. Ayant fait de la natation en compétition, j'essaie de fonctionner comme je le faisais avant chaque épreuve : me forcer à garder un certain équilibre et à limiter au maximum la montée du stress avant de passer, pour éviter que ça affecte ma performance ; cela dit, c'est encore du work in progress... »

Abordons maintenant la mythique différence entre les prépas parisiennes et les prépas de province.
Claire pense que l’on peut comparer l'ensemble de leurs classes avec le fonctionnement des khûbes dans les prépas de provinces : « tout le monde croit à l'ENS et a demandé ces prépas-là pour s'y préparer, donc les relations sont probablement davantage basées sur le travail. J'ai du mal à évaluer la rivalité dont on parle si souvent, j'imagine que ça dépend beaucoup des promos mais il y en a certainement un peu plus, cet objectif unique peut facilement créer des tensions ».


Bilan de Claire ? Positif. Malgré des difficultés sur le plan psychologique lors de sa première khâgne, qui ont affecté ses notes, elle explique que « c'est aussi là que l'entraide et le soutien qu'on ressentait déjà en hypokhâgne se sont trouvés confirmés, et grâce à tous ceux qui m'ont poussés à relever la tête, je n'ai jamais regretté ma décision de khûber même si les premières semaines sont un peu déstabilisantes. » Selon elle, faire une troisième année lui a permis d’exploiter ses capacités de travail à fond et de « boucler la boucle ». Il est maintenant temps de passer à autre chose !


Elise, en khâgne :

Pour Elise, la prépa donne la chance de rencontrer des personnes très intéressantes, d’autant plus qu’on pourra travailler en groupe. On y acquiert une culture riche. La prépa est un atout non négligeable sur un CV, elle permet d’accéder aux grandes écoles, et surtout « de se dépasser et d'être fier de soi à la fin. » C’est un très bon entraînement pour tout ce qui peut nous attendre : charge de travail, oral, regard et jugement des professeurs, échec, système classe.
Cependant, « la prépa reste un peu élitiste, les professeurs sont détournés de la réalité de l'étudiant, et certains élèves sont préférés à d’autres ».  

En ce qui concerne le stress, il est pour Elise différent selon les matières, mais souvent bénéfique. Même si ça n’a pas toujours été facile, il n’a jamais été question de « souffrance psychologique » (le genre d’expression que l’on retrouve dans des articles du Monde).


Roman, en Maths Sup :

Le meilleur côté de cette formation est pour Roman l'apport de vraies méthodes de travail : « on apprend à travailler efficacement, notamment en jugeant de l'essentiel, voire à apprécier les fruits d'un travail effectué dans une forme d'austérité ».
La prépa permet de s'enrichir sur le plan relationnel puisque tout le monde partage non seulement cette situation, mais aussi des points communs. Si Roman juge son lycée « un peu sectaire », il remarque tout de même une bonne cohésion à travers les jeux organisés entre les classes.
Mais il tient à nuancer : « Une certaine souffrance reste présente, puisque tout cela passe par une remise en question permanente qui engendre de longues périodes de doute ».


Marie, en khâgne :

« En prépa, on apprend des tas de choses. Passionnantes, parfois moins, mais avec le recul on se dit que c’est incroyable, tout ce qu’on a pu ingurgiter comme connaissances. Cela permet d’acquérir un esprit ouvert. On nous apprend tellement bien que je peux même vous parler de nombreux classiques de la littérature française sans les avoir lus ! »
On rencontre des gens qui ont les mêmes intérêts que nous, et les profs sont globalement bons. Les relations avec eux sont parfois très enrichissantes. L’entraînement à la dissertation permet également d’avoir une certaine capacité d’analyse et de sens critique, et on est fier lorsqu’on réussit.
Cependant, la prépa prend énormément de temps : « c’est une sorte de bulle où l’on travaille, travaille et travaille même si évidemment on peut avoir quelques moments de détente. Ce que je vais dire ne s’applique à divers degrés, mais la prépa fait perdre confiance en soi (à moins d’être un ovni/génie) lorsque l’on a une mauvaise note ou autre. Le problème c’est que cela peut s’étendre à des domaines hors-prépa si l’on est un peu fragile.»
Marie souligne également que même si on nous parle de l’ENS comme du Saint Graal, peu de choses nous sont dites à propos de notre avenir. « On nous fait vaguement miroiter les grandes écoles qui nous sont accessibles par la Banque d’Epreuves Littéraires, mais qui sont en réalité réservées aux admissibles (qui sont majoritairement des khûbes) et aux très bons sous-admissibles, alors que trois-quarts de la prépa se retrouvera en fac ! »

Comment gères-tu le stress ?
Le stress à « court terme » (avant un oral par exemple) est pour Marie souvent positif, cela lui permet d’être encore plus convaincante.
Pour gérer le stress du « long-terme », elle essaie de bien travailler pour s’accorder quelques moments de tranquillité avec ses proches par la suite. Le soutien, un peu des personnes de la prépa pour réaliser qu’on vit tous la même chose, mais surtout des personnes hors-prépa (évitant les jalousies et permettant de sortir de la « bulle ») est indispensable.
Marie essaie de contenir le stress un maximum, mais évidemment, au bout d’un moment, cela explose. « Cette année, j’ai tellement essayé de retarder l’échéance que j’en ai été malade deux semaines avant le concours. » En prépa, il y a des hauts et des bas, des moments où on gère, d’autres où on fait des crises de larmes tous les soirs. « Je pense qu’il faut relativiser, se dire que notre vie ne dépend en rien de la prépa (ce qui en soit est vrai), mais parfois le mental ou le corps lâche et c’est difficile d’y remédier. »


Bilan ? Plutôt positif mais elle se réjouit que cela soit fini : « je me suis mis beaucoup de pression, alors même que je ne réussissais pas trop mal, et cette perte de confiance empoisonne un peu la vie. Mais j’ai vraiment l’impression d’avoir évolué dans ma façon de réfléchir, dans mes intérêts, et de sortir grandie de ces deux années très intenses ».

Quand tu te rends compte que ta classe à la fin de l’année c’est un peu le casting de Game of Thrones à la fin de la troisième saison


BREF, vous l'avez compris, la prépa c'est parfois difficile à vivre sur le moment, mais c'est bien avec le recul... et surtout, chaque expérience est différente !
Si vous avez des questions ou des remarques, n'hésitez pas !



Rédigé par Iris.

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