mardi 1 juillet 2014

La littérature autrement


Du 26 au 29 juin, Toulouse organisait Le Marathon des mots, qui pour sa dixième édition mettait à l'honneur de nombreux écrivains turques. Mais pas seulement.
Durant ces quelques jours, de nombreux événements artistiques et littéraires sont planifiés dans la ville rose : lectures publiques, rencontres avec des auteurs et des éditeurs ou encore concerts.
Le Marathon programme également de grands cycles thématiques, « qui permettent au spectateur de cheminer à la rencontre ou à la découverte des grands noms et des grands textes de la littérature mondiale, faisant également une place importante à la francophonie et à la chanson française », selon le site officiel.

Comme l'on pouvait s'y attendre, le Marathon n'a pas entièrement échappé au mécontentement des intermittents : la performance littéraire très attendue de Michel Houellebecq et Jean-Louis Aubert au Théâtre National de Toulouse a été annulée.

Pour ceux qui ont lu mon article sur la Beat Generation, une lecture de la correspondance de Neal Cassady (le Dean Moriarty de Sur la route) par deux jeunes comédiens s'est déroulée le 28 juin. Je n'ai malheureusement pas pu être présente.


Je vais donc m'attacher à discuter de ce à quoi j'ai assisté, à savoir une lecture de lettres fictives de Marcel Proust par Denis Podalydès, de la Comédie Française, et le présentateur Raphaël Enthoven.
Après maintes difficultés pour entrer dans l'auditorium, me voilà assise sur le côté, parfait pour une myope ayant oublié ses lunettes.


Mais parlons de l'événement. Tout d'abord, l'excellente lecture des deux intervenants fut une agréable surprise. Evidemment, cette qualité semble indispensable pour une lecture publique, mais tout de même.
Le spectateur est immédiatement plongé dans l'univers proustien, je dirais même in media res (rappelons qu'A la recherche du temps perdu totalise 2 400 pages, il serait donc assez laborieux de tout lire, et pas forcément pertinent de traiter l'oeuvre dans l'ordre).

Si l'on n'a pas lu tout Proust (et je respecte tous ceux qui l'ont fait !), on se retrouve parachuté sans transition en plein milieu de La recherche où s'accumulent des personnages que l'on ne connaît pas forcément. Quelques "initiés" rient à certaines phrases, mais au bout de quelques minutes, cette impression de malaise, d'incompréhension se dissipe.
L'écriture de Proust semble si fluide qu'elle happe celui qui l'écoute prendre vie. Soudainement, on se sent bien. Beaucoup critiquent les phrases interminables de Proust obligeant parfois à s'y reprendre à deux fois. Mais ici, le spectateur est entraîné dans le monde épistolaire comme naturellement. La performance des intervenants joue beaucoup sur ce point, selon moi.
Et même si l'on est hors contexte, que l'auteur et ses lettres ne racontent pas des aventures palpitantes, l'heure que l'on passe à écouter les échanges piquants de la rupture du narrateur et d'Albertine, l'émouvante annonce de sa disparition, la pertinente (bien que célèbre) comparaison de Swann et du narrateur à travers deux lectures, se révèle riche et fascinante.

Je souhaite, de manière plus générale, revenir sur les personnages
de Swann et du narrateur.
Denis Podalydès et Raphaël Enthoven durant
leur performance proustienne.
Tous deux sont, comme l'affirme Raphaël Enthoven, des « artistes sans oeuvre ».
Swann est un personnage que le narrateur connaît dès son enfance. Et pourtant, il raconte son histoire, même si elle lui est antérieure, dans Un Amour de Swann.
Ce dernier écrit (ou plutôt n'écrit pas) un ouvrage sur Ver Meer, est si jaloux qu'il va lire une lettre d'Odette, son amante, à un autre homme, et ne va jamais au bout de ses actions.
Le narrateur lui ressemble, à ceci près qu'on pourrait le considérer, à l'instar de Messieurs Podalydès et Enthoven, comme une version améliorée de Swann. Lui ne lira jamais les lettres d'Albertine, bien que la tentation soit grande. Il terminera son oeuvre.
En témoigne aujourd'hui cet extraordinaire hapax (= un ovni littéraire) qu'on continue de faire vivre en le lisant, en le parlant, en l'écoutant.
La lecture du Marathon des mots semble un excellent moyen d'appréhender A la recherche du temps perdu.



Le prochain Marathon (ou du moins, son petit frère) se déroulera cet automne à Toulouse.
Toutes les informations nécessaires sont sur le site http://www.lemarathondesmots.com.




Rédigé par Iris.

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