dimanche 4 janvier 2015

Benjamin-Constant, l'expo qui change


Benjamin-Constant, Le soir sur les terrasses, Maroc, huile sur toile, 1879,
Musée des Beaux-Arts de Montréal.


L'exposition "Benjamin-Constant, Merveilles et Mirages de l'Orientalisme", qui s'est achevée le 04 janvier à Toulouse, est la première rétrospective sur ce peintre français du 19e siècle. Le Musée des Augustins s'est associé au Musée des Beaux-Arts de Montréal (qui prend le relais de l'exposition) via l'organisme FRAME (French Regional American Museum Exchange) pour la mettre en place.
C'est ainsi l'opportunité de découvrir le travail tout à fait singulier de Benjamin-Constant et de ses différentes facettes. Mais le Musée des Augustins a aussi su souligner, à travers cette rétrospective, son originalité muséographique.

Le dernier éclat de l'orientalisme pictural ?


Benjamin-Constant a été très marqué par ses séjours au Maroc et s'inscrit dans le courant orientaliste de son siècle. Cependant, tout comme je parlais de Gustave Doré comme le "dernier des Romantiques", Benjamin-Constant semble être le benjamin (AHAH !) de l'orientalisme.
Si l'on se rappelle des peintures de Delacroix, d'Ingres ou des carnets de voyage de Flaubert, on constate que cette véritable mode a lieu dans la première moitié du 19e siècle. Or, les peintures de Benjamin-Constant datent de la fin des années 1870 (période où l'impressionnisme a déjà pointé le bout de son nez).

Mais l'artiste est fasciné par l'Orient, et dépeint dans son atelier paysages, harems ou scènes de vie quotidienne au Maroc. Bien sûr, son Orient est, comme chez les peintres qui l'ont précédé, totalement fantasmé. Il n'a par exemple probablement jamais pu s'introduire dans les harems, qui étaient bien gardés. Il crée alors, à partir de ses souvenirs de voyage et son imagination, des tableaux emprunts de teintes tantôt vives, tantôt rompues, en alternant précision millimétrée et flou presque impressionniste.

Benjamin-Constant, La sortie de la mosquée, huile sur toile, 1872,
Musée des Beaux-Arts de Dijon.
Le Musée des Augustins met en relief la diversité de ses techniques en accrochant par exemple La sortie de la mosquée à côté de Dans le palais du sultan. Le premier (ci-contre), se caractérise par son coup de pinceau flouté, accentuant le mouvement de la scène. En effet, l'homme sur son cheval sortant de l'édifice religieux est le point central de la composition. Tout (lignes diagonales de chaque côté, porte circulaire ouverte en arrière plan, effet de flou) semble orchestré pour converger vers ce personnage qui paraît vraiment avancer vers nous.
Benjamin-Constant, un peu impressionniste malgré lui ? Non, il ne semble pas. De plus, les deux autres œuvres qui l'entourent, présentant des intérieurs ou terrasses du palais oriental, font preuve d'une grande précision. Tous les éléments architecturaux, décoratifs, et les divers motifs géométriques qui vont avec sont représentés dans le moindre détail. Pourtant, ces toiles ne sont pas particulièrement immenses : Benjamin-Constant se montre peintre hors-pair.

La Tête de Maure qu'il peint pourrait être considérée comme une synthèse de sa technique : le visage sombre, précis, imposant de l'homme contraste avec son turban blanc et très coloré, beaucoup plus vaporeux.
Benjamin-Constant, Tête de Maure, huile sur
papier marouflé sur toile, 1875, Suisse,
collection particulière.
Mais à la fin du 19e siècle, Benjamin-Constant doit s'habituer à l'idée que l'orientalisme est passé de mode, même au Salon (rappelons qu'à l'époque, cette institution constituée d'un jury académique permettait aux artistes d'acquérir leur notoriété et surtout des commandes).

Bénéficiant de relations haut-placées sous la IIIe République, le peintre se tourne alors vers le grand décor (Salle des Illustres du Capitole de Toulouse, la Sorbonne, l'Opéra comique...) et le genre du portrait, qui est plus rémunérateur. Il maintient les principes académiques, je dirais même que sa technique flouté/précision tend à s'effacer dans les portraits qu'il réalise (cela va bien sûr de pair avec les attentes toujours classiques et académiques des commanditaires).

"Merveilles et mirages" de la muséographie


Le montage de l'exposition Benjamin-Constant au Musée des Augustins.

Pour rendre hommage au mieux à ce peintre aux multiples facettes, le Musée des Augustins a séparé l'exposition en sept sections, de sa formation académique à sa carrière de portraitiste, en passant bien sûr par son voyage au Maroc qui marquera profondément sa peinture.
La muséographie (c'est-à-dire la mise en scène de l'exposition et les médiums utilisés) m'a parue assez originale pour être remarquée.

Bon, déjà, le Musée des Augustins se trouve dans une ancienne église, avec le cloître, l'orgue et tout le reste: lorsqu'on entre, on se sait dans un lieu doublement particulier, on sort de notre sphère quotidienne.

A l'entrée de l'exposition, on retrouve ces maintenant traditionnelles façades peu épaisses montées spécialement pour chaque exposition. Bon, autant dire que cela contraste fortement avec le reste de la salle ecclésiale où le visiteur fait face à de nombreux bancs, œuvres religieuses toulousaines et un orgue toujours en place. Mais quel choix a-t-on ? Ces murs éphémères sont avant tout pratiques pour exposer les œuvres et pour créer des espaces particuliers à chaque exposition.

Le Musée a par exemple choisi de créer une salle (avec quatre murs, j'entends) pour la section "Odalisques et héroïnes" : le spectateur se trouve alors dans un espace relativement clos, mettant en abyme les scènes de harems représentées sur les murs, et permettant d'entrer plus facilement dans l'univers de Benjamin-Constant.

Le Ryhad, espace de médiation de l'exposition au Musée des Augustins.
© Photo de Daniel Martin.
Mais le point le plus remarquable de la muséographie est certainement le Ryhad.
Cet espace également plus fermé se situe au milieu de l'exposition, et se montre à la fois un point de médiation (livres sur l'orient), de divertissement (des costumes de type oriental sont mis à disposition des visiteurs, ainsi que des carnets de coloriage relatifs à l'Orient) et de repos (décor et banquette).
C'était pour ma part la première fois que je rencontrais ce type d'endroit, où l'on peut vraiment se relaxer.
Dans l'article "Le Problème des musées" (1923), Paul Valéry écrit que le visiteur d'un musée finit par ressentir des sentiments inexprimables (ennui, fatigue), et ne sait plus pourquoi il est venu : les œuvres d'un musée ne sont plus inscrites dans leur contexte. Cette idée est d'autant plus avérée de nos jours, où les expositions tendent à devenir de véritables blockbusters. Fasse à la masse d’œuvres que le musée nous présente sur un plateau, il est souvent difficile, même pour les plus férus d'art, de rester concentrés après un certain temps.
Le Ryhad de l'exposition Benjamin-Constant permet au visiteur de faire une pause, tout en gardant un pied dans l'univers orientaliste. Et même si l'on n'est pas forcément enclin à faire un selfie déguisé en sultan ou un coloriage, on peut tout simplement s'asseoir et prendre le temps de discuter avec les personnes qui nous accompagnent ou pas. Cet espace permet un échange sur ce qui a été vu, ce que l'on a ressenti (bon, on peut raconter son week-end si ça nous chante). Et lorsque l'on reprend, c'est avec un œil peut-être neuf, ou en tout cas à nouveau concentré et prêt à découvrir.

Le Musée des Augustins se veut moderne, et met à disposition des visiteurs des bornes multimédias dans quasiment chaque section. On peut ainsi compléter ses connaissances et accéder à des images non-présentes dans l'exposition (on ne peut pas VRAIMENT déplacer la Salle des Illustres par exemple...). Cela permet de compléter la rétrospective et de voir toutes les indications textuelles illustrées.


Cette exposition permet de découvrir un peintre trop souvent oublié, et surtout d'entrer dans un univers qui ne peut laisser de marbre, bien qu'il soit fantasmé. Le Musée des Beaux-Arts de la ville rose a su mettre ce dernier en valeur, à travers la muséographie, les médiums et les partenariats culturels toulousains sur le thème de l'Orient. Reste à savoir ce qu'en fera Montréal : le montage de l'exposition sera certainement différent. Si vous n'avez pas eu l'occasion de voir Benjamin-Constant à Toulouse, je ne peux que vous inviter à vous envoler pour Montréal ; et j'attends bien entendu vos retours sur l'exposition !


Exposition "Merveilles et Mirages de l'Orientalisme", du 31 janvier au 31 mai au Musée des Beaux-Arts de Montréal.



Sources et crédit photos :

Rédigé par Iris.

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