Cet artiste alsacien du 19e siècle, tout le monde le
connaît. Parfois sans en être conscient (même Norman porte un t-shirt
Gustave Doré). Mais si, allez :
Ça va, vous le resituez ?
Gustave Doré, c’est celui qui a mis en image tous ces
contes qu’on a pu nous lire quand on était enfants. Il a été un illustrateur prolifique,
des contes de Perrault à la Bible en passant par Rabelais et des contes
londoniens. D’ailleurs, vous ne vous en êtes peut-être jamais rendus compte,
mais lorsqu’on s’imagine Londres à l’époque victorienne par exemple (la ville
brumeuse, les personnages aux longs manteaux noirs, les silhouettes des usines
fumantes se découpant dans le paysage londonien…), c’est à lui que l’on pense.
Gustave Doré semble vraiment s’être imposé dans l’imaginaire collectif ;
et cela en plus d’avoir joué un rôle majeur dans la gravure et la caricature,
puisqu’on le considère souvent comme le précurseur de la bande-dessinée.
Un immense talent oublié
Gustave Doré est un artiste
universel, curieux de tout. Cependant, c’est pour son talent d’illustrateur
qu’il est le plus renommé.
Dans la préface de Life of Gustave Doré, son biographe Blanchard Jerrold souligne qu’il a (au moins) deux
personnalités distinctes : l’auteur divise son livre en deux parties, Doré
comme illustrateur et Doré comme peintre.
Cette séparation est donc
lourde de sens ; on y voit un artiste « complet » (illustrateur,
peintre, acrobate, et même un peu plus tard sculpteur) mais qui dont le travail
et la carrière sont pourtant divisés, comme s’il avait connu plusieurs destins.
Gustave Doré, Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’Enfer, huile sur toile, 1861, Musée de Brou, Bourg-en-Bresse. |
Gustave Doré disait lui-même
que son métier d’illustrateur avait pour but (comme l’indique l’emploi du mot
métier, que l’on n’utilise pas pour « peintre » ou « sculpteur »)
de le faire vivre. Sa grande frustration fut de ne jamais être reconnu en tant
que peintre (ou alors modérément en fin de carrière, lorsque sa peinture se
veut plus politique après la prise de son Alsace natale par les Prusses en
1870).
Il réalise pourtant d’immenses toiles comme Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’Enfer (315 x 450 cm)
ou encore Le Christ quittant le Prétoire
(600 x 900cm), comme s’il cherchait à s’inscrire dans la lignée des « les
grandes machines au XIXe siècle » (les grandes toiles de Courbet ou
encore de Thomas
Couture).
Couture).
Eugène Delacroix, La Barque de Dante, huile sur toile, 1822, Musée du Louvre, Paris. |
Gustave Doré est souvent considéré comme « le
dernier des romantiques » : en peinture, ce mouvement se déroule dans
les années 1820 (avec Moreau, Delacroix…), tandis que Doré entame sa carrière à
la fin des années 1840. Mais cette expression, dans la bouche des critiques,
est très péjorative : on reproche à Gustave Doré de faire quelque chose de
dépassé, en moins bien qu’un Delacroix. Ceci dit, il faut noter la grande
différence de leurs styles : peut-être parlerait-on aujourd’hui de « post-romantisme »
concernant Doré ?
Toujours est-il que si Doré a connu une carrière
internationale en tant qu’illustrateur, ses œuvres picturales ont été laissées
de côté (en particulier en France). Des toiles, à l’instar de Dante et Virgile dans
le neuvième cercle de
l’Enfer ont même tout bonnement disparues. Avant d’être dispersées lors d’une vente aux
enchères en 1947, elles sont restées dans un entrepôt
de Manhattan durant 49 ans.
La communication contemporaine peut-elle faire reconnaître ce talent ?
Si Gustave Doré a pu être un temps oublié, l’exposition
« L’imaginaire au pouvoir » qui a eu lieu en 2014 au Musée d’Orsay
semble avoir réaffirmé sa place de grand artiste français du 19e siècle.
Cette exposition a en effet eu un immense succès. Mais j’aimerais
revenir sur la communication culturelle mise en place pour cette exposition.
Jugez plutôt :
Qu’on connaisse Gustave Doré ou pas, qu’on s’intéresse à
l’art ou que cela soit le cadet de nos soucis, on est d’accord : cette
vidéo promotionnelle donne envie d’aller voir l’exposition.
La technique du cut-out (les personnages sont réalisés à
partir de plusieurs parties indépendantes en papier, permettant le mouvement,
un peu comme des marionnettes) est rendue pertinente par rapport à l’œuvre de
Doré. Ses dessins, qui défilent les uns après les autres à la manière d’un
conte illustré, prennent vie grâce au cut-out. L’artiste devient lui-même
personnage, tantôt poursuivit par des monstres, tantôt protégé par des figures bienveillantes
comme Dante, Virgile ou Jésus, et nous guide dans les hautes sphères de son
imaginaire incroyable. Gustave Doré est mis en scène au sein de ses propres œuvres,
ce qui permet au spectateur d’aborder son travail de manière globale, originale,
et attirante.
L’artiste apparaît ici comme un acrobate presque héroïque,
comme il a pu l'être en réalité : son arrière-petit-neveu Julien Doré (OUI !)
raconte même, pour l’anecdote, que lorsqu’il organisait de grandes soirées
mondaines, il s’amusait à se pendre aux lustres pour divertir ses invités.
Bref, le Musée a créé une comm’ qui marche, et qui n’oublie
pas de parler de l’œuvre de Doré dans sa globalité. L’exposition regroupait d’ailleurs
gravures, peintures et sculptures confondues. Mais peut-être est-ce justement
là un autre facteur du succès de l’exposition. La sculpture de Doré ?
Inconnue au bataillon. Pourtant elle existe. Mais ce n’est pas ce qui intéresse
les gens, ou du moins ce n’est pas ce qu’ils connaissent ou retiennent de lui. Avec
« L’imaginaire au pouvoir », un grand nombre d’œuvres sous différents
supports ont été regroupées pour attirer le plus de visiteurs possible, mais
peut-être aussi pour faire redécouvrir Doré en tant qu’artiste total. Mais cet objectif peut-il vraiment être atteint ?
Catalogue de l'exposition du Musée de Brou. |
La communication, en plus de la notoriété du musée, est
un atout majeur non seulement pour le succès d’une exposition mais aussi dans l’imaginaire
collectif : le Musée de Brou a voulu rétablir la place que Doré aurait dû
avoir, mais l'impact de l'exposition a été moindre. Le Musée d’Orsay a présenté l’œuvre globale de l’artiste,
et les spectateurs n’en retiendront que ce qu’ils voudront.
Et je ne sais pas vous, mais je parie que cela sera,
toujours et encore : Doré l’illustrateur.
Crédit vidéo :
Musée d'Orsay
Crédit vidéo :
Musée d'Orsay
Rédigé par Iris.
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