mardi 23 décembre 2014

Gustave Doré, peintre mal-aimé ?




Cet artiste alsacien du 19e siècle, tout le monde le connaît. Parfois sans en être conscient (même Norman porte un t-shirt Gustave Doré). Mais si, allez :


Ça va, vous le resituez ?
Gustave Doré, c’est celui qui a mis en image tous ces contes qu’on a pu nous lire quand on était enfants. Il a été un illustrateur prolifique, des contes de Perrault à la Bible en passant par Rabelais et des contes londoniens. D’ailleurs, vous ne vous en êtes peut-être jamais rendus compte, mais lorsqu’on s’imagine Londres à l’époque victorienne par exemple (la ville brumeuse, les personnages aux longs manteaux noirs, les silhouettes des usines fumantes se découpant dans le paysage londonien…), c’est à lui que l’on pense. Gustave Doré semble vraiment s’être imposé dans l’imaginaire collectif ; et cela en plus d’avoir joué un rôle majeur dans la gravure et la caricature, puisqu’on le considère souvent comme le précurseur de la bande-dessinée.

Un immense talent oublié


Gustave Doré est un artiste universel, curieux de tout. Cependant, c’est pour son talent d’illustrateur qu’il est le plus renommé.
Dans la préface de Life of Gustave Doré, son biographe Blanchard Jerrold souligne qu’il a (au moins) deux personnalités distinctes : l’auteur divise son livre en deux parties, Doré comme illustrateur et Doré comme peintre.
Cette séparation est donc lourde de sens ; on y voit un artiste « complet » (illustrateur, peintre, acrobate, et même un peu plus tard sculpteur) mais qui dont le travail et la carrière sont pourtant divisés, comme s’il avait connu plusieurs destins.
Gustave Doré, Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’Enfer,
 huile sur toile, 
1861, Musée de Brou, Bourg-en-Bresse.
Gustave Doré disait lui-même que son métier d’illustrateur avait pour but (comme l’indique l’emploi du mot métier, que l’on n’utilise pas pour « peintre » ou « sculpteur ») de le faire vivre. Sa grande frustration fut de ne jamais être reconnu en tant que peintre (ou alors modérément en fin de carrière, lorsque sa peinture se veut plus politique après la prise de son Alsace natale par les Prusses en 1870). 
Il réalise pourtant d’immenses toiles comme Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’Enfer (315 x 450 cm) ou encore Le Christ quittant le Prétoire (600 x 900cm), comme s’il cherchait à s’inscrire dans la lignée des « les grandes machines au XIXe siècle » (les grandes toiles de Courbet ou encore de Thomas
Couture).

Eugène Delacroix, La Barque de Dante, huile sur toile, 1822,
Musée du Louvre, Paris.
Gustave Doré est souvent considéré comme « le dernier des romantiques » : en peinture, ce mouvement se déroule dans les années 1820 (avec Moreau, Delacroix…), tandis que Doré entame sa carrière à la fin des années 1840. Mais cette expression, dans la bouche des critiques, est très péjorative : on reproche à Gustave Doré de faire quelque chose de dépassé, en moins bien qu’un Delacroix. Ceci dit, il faut noter la grande différence de leurs styles : peut-être parlerait-on aujourd’hui de « post-romantisme » concernant Doré ?
Toujours est-il que si Doré a connu une carrière internationale en tant qu’illustrateur, ses œuvres picturales ont été laissées de côté (en particulier en France). Des toiles, à l’instar de Dante et Virgile dans 
le neuvième cercle de l’Enfer ont même tout bonnement                                                                                         disparues. Avant d’être dispersées lors d’une vente aux
                                                                                        enchères  en 1947, elles sont restées dans un entrepôt 
                                                                                        de Manhattan durant 49 ans. 
                                                                                        

La communication contemporaine peut-elle faire reconnaître ce talent ?


Si Gustave Doré a pu être un temps oublié, l’exposition « L’imaginaire au pouvoir » qui a eu lieu en 2014 au Musée d’Orsay semble avoir réaffirmé sa place de grand artiste français du 19e siècle.
Cette exposition a en effet eu un immense succès. Mais j’aimerais revenir sur la communication culturelle mise en place pour cette exposition.
Jugez plutôt :

Qu’on connaisse Gustave Doré ou pas, qu’on s’intéresse à l’art ou que cela soit le cadet de nos soucis, on est d’accord : cette vidéo promotionnelle donne envie d’aller voir l’exposition.
La technique du cut-out (les personnages sont réalisés à partir de plusieurs parties indépendantes en papier, permettant le mouvement, un peu comme des marionnettes) est rendue pertinente par rapport à l’œuvre de Doré. Ses dessins, qui défilent les uns après les autres à la manière d’un conte illustré, prennent vie grâce au cut-out. L’artiste devient lui-même personnage, tantôt poursuivit par des monstres, tantôt protégé par des figures bienveillantes comme Dante, Virgile ou Jésus, et nous guide dans les hautes sphères de son imaginaire incroyable. Gustave Doré est mis en scène au sein de ses propres œuvres, ce qui permet au spectateur d’aborder son travail de manière globale, originale, et attirante.
L’artiste apparaît ici comme un acrobate presque héroïque, comme il a pu l'être en réalité : son arrière-petit-neveu Julien Doré (OUI !) raconte même, pour l’anecdote, que lorsqu’il organisait de grandes soirées mondaines, il s’amusait à se pendre aux lustres pour divertir ses invités.

Bref, le Musée a créé une comm’ qui marche, et qui n’oublie pas de parler de l’œuvre de Doré dans sa globalité. L’exposition regroupait d’ailleurs gravures, peintures et sculptures confondues. Mais peut-être est-ce justement là un autre facteur du succès de l’exposition. La sculpture de Doré ? Inconnue au bataillon. Pourtant elle existe. Mais ce n’est pas ce qui intéresse les gens, ou du moins ce n’est pas ce qu’ils connaissent ou retiennent de lui. Avec « L’imaginaire au pouvoir », un grand nombre d’œuvres sous différents supports ont été regroupées pour attirer le plus de visiteurs possible, mais peut-être aussi pour faire redécouvrir Doré en tant qu’artiste total. Mais cet objectif peut-il vraiment être atteint ?

Catalogue de l'exposition du Musée de Brou.
Il faut savoir qu’en 2012, le Musée de Brou, qui conserve un certain nombre d’œuvres de Gustave Doré, a organisé l’exposition « Gustave Doré : un peintre né ». Mais les moyens n’étaient pas aussi grands qu’à Orsay, et l’on ne présentait qu’un aspect du travail de Doré, celui qu’il aurait certainement voulu qu’on retienne et qu’on célèbre, d’ailleurs. Résultat de cette exposition ? On en n'a peu entendu parler.

La communication, en plus de la notoriété du musée, est un atout majeur non seulement pour le succès d’une exposition mais aussi dans l’imaginaire collectif : le Musée de Brou a voulu rétablir la place que Doré aurait dû avoir, mais l'impact de l'exposition a été moindre. Le Musée d’Orsay a présenté l’œuvre globale de l’artiste, et les spectateurs n’en retiendront que ce qu’ils voudront.

Et je ne sais pas vous, mais je parie que cela sera, toujours et encore : Doré l’illustrateur.



Crédit vidéo :
Musée d'Orsay

Rédigé par Iris.

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