dimanche 8 février 2015

La mode, "magnat" de la culture ?




Depuis quelques temps, une idée me trotte dans la tête : j'ai l'impression que la mode, phénomène social à la fois culturel et industriel, se déploie sur la culture en général. Tenez, avez-vous remarqué que les références culturelles (musique, films cultes...) vont croissantes sur vos vêtements, ces dernières années ? Et que penser de la floraison de "Fondations [insérer une marque de luxe]" où l'art a la part belle ? La mode paraît essayer, plus que jamais, de s'associer à d'autres disciplines artistiques.

La pop-culture, référence mode


Ces dernières années, la culture populaire, ou pop-culture, semble être devenue un élément majeur dans la mode. De Disney aux Beatles, en passant par des citations de rappeurs sur fond d’œuvres d'art mythiques, cette pop-culture représente des références connues et appréciées par une grande partie de la population. Et quand je parle de la pop-culture dans la mode, je ne fais pas allusion au t-shirt représentant les Clash trois fois trop grand pour vous chiné dans une friperie quand vous aviez 16 ans (qui vous sert désormais de pyjama). Non, aujourd'hui, les marques de prêt-à-porter et de haute-couture paraissent avoir totalement adopté ces références culturelles communes.

Collection
Paul & Joe Sister X Disney


Pas plus tard que la saison dernière, Paul & Joe Sister mettait Les Aristochats (film Walt Disney de 1970) à l'honneur dans sa collection automne/hiver. Et n'espérez pas trouver les mêmes vêtements à Disneyland (j'ai vérifié), les vingt pièces de cette collection capsule ont été conçues spécialement pour l'occasion. Il y a donc une appropriation de ces "personnages intemporels", selon l'expression de Paul & Joe Sister, par la marque, dont le chat semble d'ailleurs être un motif récurrent. Cette référence à l'univers Disney, et plus précisément à des chats des films Disney, permet alors de nourrir l'image de la marque, qui reste dans la même lignée tout en utilisant des effigies connues et aimées du grand public.




Cependant, cette collaboration n'a pas toujours lieu dans les règles : la marque anglaise Topshop a récemment perdu un procès en appel face à la chanteuse Rihanna. Cette dernière accusait la marque d'avoir vendu en 2011 des t-shirts à son effigie sans son autorisation. Topshop, qui a ensuite changé l'appellation du vêtement (passant de "t-shirt sans manches Rihanna" à "t-shirt sans manches d'une icône"), a plaidé sa cause en invoquant la spécificité des lois britanniques de la reproduction de l'image, mais sans succès.


On peut se demander si la mode n'essaie carrément pas
de créer et renouveler la pop-culture.
L'image de Choupette, le chat de Karl Lagerfeld, s'est vue très plébiscitée ces derniers temps. En 2012, son propriétaire lance une collection capsule Choupette visant les "cat-lovers".
Karl Lagerfeld et Choupette
Aujourd'hui, Choupette dispose d'un compte Twitter (45 400 followers), pose dans des magazines de mode et est même devenue l'égérie de la marque cosmétique Shu Uemura à l'automne dernier.
Ainsi, comme le souligne le site de Karl Lagerfeld, Choupette est aussi connue que son propriétaire. Et par la démultiplication des supports (mode, cosmétiques, médias, réseaux sociaux...) sur lesquels elle apparaît, la petite Choupette devient une image connue du public à une large échelle ; et, on le sait, les animaux sont une
stratégie marketing du tonnerre.

L'essor des fondations


La mode ne se contente pas de s'associer à la pop-culture : les marques de luxe s'inscrivent de plus en plus dans une politique de mécénat artistique, et ce notamment à travers ces fameuses "fondations".
Cette année, la fondation Cartier pour l'art contemporain fête ses vingt ans, tandis que la Fondation Louis Vuitton a ouvert ses portes en octobre dernier, et que la Fondation Prada, établie depuis 1993 à Milan (et qui possède déjà une antenne à Venise), annonce un nouveau projet de construction.

Il n'est pas rare que les grandes multinationales établissent une fondation pour promouvoir l'art. Mais il faut noter que les fondations créées par des marques de luxe (comme celles citées ci-dessus) sont les plus "incontournables". Pourquoi ?

La Fondation Louis Vuitton
La fondation Louis Vuitton s'est par exemple offerte les services de l'architecte Frank Ghery pour créer un bâtiment design, artistique en lui-même. Et si, quand a ouvert la fondation, le Centre Pompidou réalisait dans un même temps une rétrospective Frank Gehry, on peut penser que l'image que renvoie ces deux centres d'art est différente : la fondation Vuitton est définitivement marquée par Frank Gehry, qui a construit l'édifice spécialement pour la fondation. Cette dernière et l'architecte seront donc toujours liés, tandis que le Centre Pompidou passe à d'autres expositions. D'ailleurs, Frank Gehry s'est rendu à l'inauguration de la fondation, mais pas à celle de l'exposition sur son
                                                                                       oeuvre à Beaubourg.

Il semblerait que les fondations cherchent à s'associer à une image artistique et à montrer leur ouverture d'esprit. On pourrait s'attendre à ce que les fondations de marques de luxe présente des pièces de leurs collections, pour créer une sorte de musée Vuitton, Prada, etc. Après tout, les musées de la mode existent bel et bien (le Palais Galliera, la Cité de la Mode et du Design, le Musée de la Mode d'Albi, pour ne citer qu'eux), ce qui souligne la place de la mode dans la culture, au même titre qu'un tableau de maître ou qu'une installation contemporaine.
D'ailleurs, les Beaux-Arts eux-mêmes sont une mine d'or pour comprendre l'évolution des vestiaires féminins et masculins : les peintures du Moyen-Âge, par exemple, permettent de pallier le manque de "vestiges" de tenues d'époque.

Mais dans ces fondations, n'est ce pas un monde très différent qui est présenté au spectateur, sans qu'il ait forcément rapport avec la mode ?


Par exemple, la Fondation Prada ouvrira son centre d'art à Milan avec l'exposition "Serial Classic" ("classiques en série"), conjointement à celle de la Fondation à Venise, "Portable Classic" ("classiques à emporter"). La première met en relief la copie de grands chefs-d’œuvres, et la seconde la reproduction miniature de célèbres statues antiques et sa diffusion de la Renaissance à l'époque néoclassique. Un sujet intéressant, certes, mais qui n'a pas grand chose à voir avec la mode.

Edvard Munch, Le Cri, tempera sur carton, 1893,
Musée Munch, Oslo
De même, la Fondation Vuitton va prochainement mettre en place une exposition regroupant des tableaux et sculptures d'artistes majeurs du XXe siècle, afin de mieux comprendre l'art contemporain. Le centre d'art a réussi à obtenir le prêt d'un des Cri[s] de Munch par le musée d'Oslo qui le détient. C'est un véritable tour de force, car même le Centre Pompidou avait dû se priver de l'oeuvre lors de sa rétrospective sur Munch (après plusieurs vols de ce tableau, le musée norvégien se montre réticent à l'idée de le prêter).
On en revient alors à l'opposition "fondations par de grands noms de la mode"/"centres d'art publiques et renommés".

L'avenir des expositions est-il dans ses fondations ? Peut-être attirent-elles par la diversification de l'espace qu'elles proposent : en étant à la fois centre d'art, bar, lieu de réception et que sais-je, l'institution muséale est démocratisée. Pourtant, le Centre Pompidou (et bien d'autres) propose aussi des espaces très variés.

On pourrait penser que les maisons de mode sont des philanthropes comme les autres. Mais le label est bien là, et la vision n'est pas du tout la même lorsqu'on pense aux fondations d'un Carnegie ou de Vuitton.

Ainsi, l'art s'invite (ou plutôt, est invité) dans les fondations de mode. Mais imaginons l'inverse : si déjà la Fashion Week parisienne se déroulait jusqu'en 2010 dans le Carrousel du Louvre, à quand la Fashion Week dans la Grande Galerie, au milieu des tableaux ?




Sources :
Madmoizelle
Le Point
Karl Lagerfeld
L'Express
Le Monde : 1,  2

Crédits images :
Fondation Louis Vuitton


Rédigé par Iris.

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